samedi 17 novembre 2007

Apologie du trottoir

La pensée dite "moderne" a tenté de nier la notion de rue, trop dangereuse à cause de ses mélanges (voiture, piéton, vélo, etc.), lui préférant des voies de circulation bien différenciées (les 7V de la Charte d'Athènes), et des immeubles plantés au milieu de leurs espaces verts.
Comme toute proposition de changement, ses applications extrêmes peuvent produire un effet aussi négatif que ceux qu'ils étaient censés combattre.
J'ai déjà traité dans un précédent article de la séparation des voies de circulation. Qu'il me soit permis aujourd'hui de citer Françoise Choay, qui, au détour d'un chapitre de son excellent Urbanisme, utopies et réalités, nous livre une analyse fort à propos sur la rue et son trottoir:
L'espace éclaté, qui abolit la rue* s'est révélé source de dissociation et de désintégration mentale; à forte structuration de la ville correspond une forte structuration psychique des habitants.

* Dans une langue ou le mot trottoir n'a pas la même résonance que dans la nôtre, Jane Jacobs a fait une véritable "apologie du trottoir" qui lui semble le lieu par excellence où l'on éprouve un sentiment de sécurité propre aux villes; le trottoir fait également, selon cet auteur, l'objet d'une sorte de police plus spontanée et tacite de la part des habitants (passants ou boutiquiers).
A noter le bonheur, au moins pour moi, de voir un ouvrage d'urbanisme qui ne traite pas seulement de plans et de flux de circulation, mais également de ces notions très subjectives de santé mentale des personnes appeler à habiter cet urbanisme.
Je me suis promis de bientôt chroniquer l'ouvrage de Mme Choay, un véritable plaisir de lecture.

samedi 10 novembre 2007

La vitesse, la route, et l'homme

En cent ans les transports on fait des progrès fantastiques, mettant à la disposition du plus grand nombre des vitesses de déplacement élevées, et générant de nouveaux besoins sur les infrastructures (routes, autoroutes, échangeurs, voies ferrées) et une nouvelle série de nuisances (paysagères, sonores).
Deux commentaires en miroir sur ce sujet, le premier de Le Corbusier, où dans Manière de penser l'urbanisme, il nous rappelle à la fois la nouveauté de ce changement et son impact, pour lui de l'ordre de la civilisation:
Le crépuscule d'une civilisation et l'aube d'une nouvelle civilisation ont été marqués par des inventions mécaniques: le régime millénaire des vitesses de "4 km-heure" (pas de l'homme, du cheval, du boeuf) est passé brutalement à celui des 50, 100, voire 500 km-heure pour le transport des personnes et des produits et à celui, illimité, du télégraphe, du téléphone, de la radio pour le transport des idées (information, commandement, ordres et contrôles).
Quelque 50 ans plus tard, dans Si la ville m'était contée, Gilles Rabin et Luc Gwiadzinski nous rappellent l'effet pervers de l'automobile et de cette facilité à se déplacer d'un point à un l'autre très rapidement en complète autonomie:
L'homme de cette fin de XXème Siècle ne voyage plus: il se déplace. Disons plutôt qu'il saut d'un lieu à un autre sans s'investir dans le voyage. Il "zappe" les espaces, passant de l'un à l'autre par des "tunnels". En clair, la route ne fait plus partie du voyage. Elle est devenue un espace-temps subi qui sépare le départ de l'arrivée. L'automobiliste, "handicapé du réel", installé dans sa bulle aseptisée - prolongement de son domicile - emprunte ce "tunnel temporel" avec des oeillères, l'autoradio pour seul compagnon. Notre aventurier du chronomètre n'a qu'une idée en tête: arriver le plus vite possible. La route, comme les autres infrastructures nécessaires à la circulation accélérée des hommes et des biens, n'est plus qu'un "non-lieu" que l'on se dépêche de traverser.
Tout n'est pas perdu, l'homme du XXIème Siècle semble redécouvrir le plaisir de la marche, de la lenteur, de la flânerie. De fait, on voit se dessiner cette double évolution: déplacements rapides pour l'utilitaire et lents pour le plaisir. Aller vite à de Paris à San Francisco, pour le plaisir d'errer dans Lombard Street et sur Market Street.

Questions, commentaires, réactions ? n'hésitez pas

dimanche 4 novembre 2007

Autoroute et droit de riveraineté

Qu'est-ce qui différencie une autoroute de toute autre voie de circulation ? la vitesse ? les doubles (ou triples voies) ? l'absence de croisements ? certes un peu tout cela, mais également une notion de droit décrite par Jean-Paul Lacaze dans son Paris, urbanisme d'Etat et destin d'une ville: la suppression du droit de riveraineté.

Détails:

La caractéristique essentielle d'une autoroute résulte d'une notion purement juridique, et non de l'aspect physique de chaussées continues sans croisement à niveau et avec accès et sorties tangentielles. Il s'agit de la suppression totale du "droit de riveraineté" au nom duquel tout propriétaire d'un terrain ou d'un immeuble desservi par une voie peut se servir de cette dernière pour accéder chez lui, disposer ou prendre des marchandises, ou encore sortir une chaise devant sa porte pour humer l'air du temps. Les logiques de fort débit et de sécurité inhérente à la solution autoroutière interdisent de conserver un tel droit, source de trop d'évènements aléatoires et imprévisibles.
De ce fait, l'autoroute a rompu l'antique complicité entre la voie urbaine et l'immeuble riverain. Or, l'organisation de cette complicité est l'une des racines historiques des pratiques urbanistiques.

Certes, on pourra objecter à Mr Lacaze qu'en fait ce droit n'est pas forcément occulté, mais simplement non utilisé, par le simple fait que les riverains des autoroutes sont en général les propriétaires de l'autoroute (en l'occurrence l'Etat bien souvent), l'emprise foncière dépassant généralement les simples voies de circulation. Toujours est-il qu'il est bel et bien interdit (et fort peu recommandé) de sortir sa chaise sur l'autoroute - en dehors des zones prévues à cet effet, bien entendu !

vendredi 2 novembre 2007

Bénéfices du plan en bras de turbine

Suite de la critique de Ricardo Bofill et Nicolas Véron sur les analyses de Camillo Sitte concernant les différences entre urbanisme de cours et urbanisme de bloc, aujourd'hui les bénéfices du plan fermé:
L'architecte viennois Camillo Sitte a analysé de façon pénétrante ces deux urbanismes, en mettant en évidence la différence de fond entre les villes de son temps et les cités du Moyen-Age. Il note en particulier, le premier, que de nombreuses places médiévales apparaissent extrêmement closes, du fait d'un plan en "bras de turbine" où aucune rue ne débouche en vis-à-vis d'une autre: l'oeil ne peut jamais avoir plus d'une perspective sur l'extérieur depuis la place (et encore faut-il pour cela qu'il se place sur le côté de celle-ci), ce qui la fait paraître plus fermée qu'elle est en réalité. Peu importe d'ailleurs que la place soit close ou ouverte, ou, comme le fait remarquer Sitte, que son tracé soit régulier ou non: l'essentiel est l'attention portée à l'espace vécu plutôt qu'à la géométrie abstraite du plan. Il y aurait donc deux urbanismes, celui des blocs qui serait avant tout un urbanisme de papier, conforme à un dogme théorique, et celui des cours, pragmatique et concret, comme dans ces places médiévales qu'analyse Sitte, qui mettrait au premier plan d'espace tel qu'il est ressenti au quotidien.

extrait de L'architecture des villes, déjà cité dans ce blog.